L'Oise Agricole 05 mars 2022 a 11h00 | Par Dominique Lapeyre-Cavé

Éclore, la jeune pousse du Vexin qui produit du safran

C’est l’histoire d’un retour aux sources pour deux enfants d’agriculteurs qui, bien que salariés à Paris, ont eu envie de remettre les mains dans la terre de leurs ancêtres, pour produire du safran près de Chaumont-en-Vexin.

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Étienne Broutin présente la première récolte de safran de Loconville.
Étienne Broutin présente la première récolte de safran de Loconville. - © DLC

«C’est vraiment pendant le confinement de 2020 que l’idée a germé. Ma compagne et moi sommes salariés à Paris et nous nous sommes retrouvés en télétravail ici au Vivray, sur la commune de Loconville», explique Étienne Broutin, 29 ans, fils d’agriculteur de la Somme. Après des études en marketing et deux années de voyages à découvrir le monde, il reprend ses études en licence de tourisme à Bordeaux où il rencontre Appoline Gautier, aujourd’hui 28 ans, en études de marketing. Elle est la fille d’un agriculteur de Loconville, mais ne se destine pas du tout à une carrière agricole.

Les deux s’installent dans l’ancien corps de ferme des grands-parents d’Appoline, au Vivray, qu’ils rénovent tout en poursuivant leur carrière à Paris, dans le secteur du voyage d’affaires. «Comme la crise Covid est un véritable marasme pour ce secteur, nous nous sommes trouvés ici en télétravail et avons apprécié ces journées à la campagne. Nous avons réfléchi à une activité agricole que nous pourrions développer tout en gardant nos emplois salariés», poursuit Étienne.

Ils veulent une production sans gros investissements, sans mécanisation à outrance, qu’ils puissent assurer à deux. Ils pensent à produire des salades, ou des fraises, ou des lentilles, mais rien ne les emballe et ils ne souhaitent pas s’inscrire dans un cursus agricole qui les obligerait à reprendre des études. Néanmoins, ils savent qu’ils devront acquérir des compétences. Ils pensent alors au safran dont il existe des producteurs en Picardie. «On s’est dit que c’était réaliste puisque d’autres le font déjà depuis plusieurs années avec succès. Nous avons alors fait des visites, des recherches sur internet et avons acheté 200 bulbes chez un producteur près de Grenoble, que nous avons plantés en août 2020». Le père d’Appoline met à leur disposition une parcelle de 1.500 m2 pas trop éloignée de leur corps de ferme et leur première récolte en octobre les encourage à poursuivre. «Nous avons ainsi pu nous rendre compte que produire du safran était possible, que la terre était adaptée», sourit Étienne Broutin.

En grand

Dès janvier 2021, Étienne et Appoline commandent 60.000 bulbes. La parcelle est clôturée pour éviter les intrusions de sangliers et de chevreuils et M. Wauters, le beau-père d’Étienne, leur bricole une planteuse artisanale qui sera attelée derrière un petit tracteur. Une dent dessine un sillon dans la terre et un tube de descente y positionne le bulbe. «Celui-ci doit être enterré à 15-20 cm de profond mais, surtout, la queue, future tige de la fleur, doit être dirigée vers le haut. Ensuite, des griffes recouvrent le sillon. Il nous a fallu de nombreux essais pour ajuster nos réglages et surtout assurer une parfaite régularité entre les bulbes. Pour cela, Appoline, assise sur la planteuse, écoutait un métronome dans les oreillettes de son téléphone pour cadencer la plantation. Moi, je conduisais le tracteur à la vitesse de 300 à 350 mètres à l’heure», en sourit encore le jeune entrepreneur. 25 cm séparent les rangs et les bulbes sont espacés de 10 cm. Tous les cinq rangs, un passage de 50 cm est laissé libre pour la récolte. «Certains plantent plus serré, nous avons fait le choix d’une densité moindre pour permettre au bulbe de bien se développer pendant les quatre années où il doit rester en place.»

Profitant d’un créneau favorable, la plantation s’écoule sur trois jours, du 11 au 13 août. Étienne et Appoline choisissent de conduire leur culture sans couvert et le désherbage se fait mécaniquement grâce à une herse étrille artisanale tirée par un quad. «Un passage par semaine a permis de garder la parcelle propre. Évidemment, dès que la fleur sort, il faut arrêter et le désherbage passe alors en mode manuel !», assure Étienne. Pour lutter contre les mulots, principaux ennemis des bulbes, des perchoirs sont installés comme des miradors pour les rapaces qui voudraient bien se charger de l’élimination des rongeurs.

Malheureusement, en 2021, les conditions météorologiques n’ont pas été plus favorables aux crocus qu’aux grandes cultures. Il a été difficile de trouver une fenêtre pour la récolte, qui s’est étalée du 18 octobre au 20 novembre. «L’opération est délicate, il faut cueillir les fleurs avant l’éclosion car le pistil ne doit pas être en contact avec les UV pour préserver sa qualité. On cueillait chaque jour un ou deux heures et toute la famille a été mise à contribution», raconte Étienne.

Après la cueillette des fleurs, il faut pratiquer l’émondage, c’est-à-dire enlever les trois stigmates du pistil, puis les sécher au four pendant 2 h 30 à 30-35°C. Le safran perd alors 80 % de son poids frais, mais c’est ce qui permettra sa conservation. La qualité est contrôlée par un laboratoire qui assure que leur récolte 2021 est classée en catégorie 1, en ce qui concerne le taux d’humidité, l’odeur, la couleur et le goût. La récolte, de 185 g au final, a été moindre qu’escompté, mais les jeunes producteurs sont quand même satisfaits car tous les bulbes ne fleurissent pas la première année.

Commercialisation

Le safran est une épice des plus chères, autour de 34.000 €/kg. Étienne et Appoline vendent des fioles, délicates à remplir, d’un gramme, de 0,2 ou 0,5 gramme et ont créé leur marque, Éclore, «dont le nom est plus large que le simple safran, ce qui nous laisse d’autres possibilités de productions». Ils visent une clientèle de restaurateurs, de traiteurs, de pâtissiers ou de confiseurs qui sauront sublimer leur safran, dans des recettes sucrées ou salées.

«Nous cherchons à nous faire connaître auprès des chefs réputés, qui ne manquent pas dans le secteur. Les premiers retours sont d’ailleurs très positifs. Mais la crise sanitaire a un peu bloqué nos démarches commerciales. Heureusement, le safran peut se conserver trois ans», précise Étienne. De quoi poursuivre la belle aventure de ce retour inattendu à la terre

Éclore

«Nous vendons notre safran produit à Loconville et issu de l’agriculture raisonnée.»

Tél. 06 38 45 13 98

eclore.safran@gmail.com

Instagram : @eclore_safran

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