L'Oise Agricole 08 mars 2023 a 08h00 | Par DLC

Production en hausse, baisse de la consommation... difficile de vendre du bio

Après des années de croissance de la consommation et des conversions toujours plus nombreuses, l'agriculture biologique connaît un retournement de situation qui impacte directement les producteurs de l'Oise. Témoignages.

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Clothilde Ghesquière.
Clothilde Ghesquière. - © Dominique Lapeyre-Cavé

Nous avions fait sa connaissance lors de l'incident Lubrizol, ce nuage qui avait pollué les productions agricoles du Nord-Ouest de l'Oise en septembre 2019. Clotilde Ghesquière venait de s'installer sur un atelier de maraîchage et vergers pommes poires bio à Rieux-Le Hamel, entre Grandvilliers et Crèvecoeur-le-Grand. Depuis, avec l'épisode Covid et le gel printanier de 2021, la vie n'a pas été un long fleuve tranquille. «Le Covid a amené de nouveaux clients qui ont été contents de nous trouver pendant le confinement mais, qui, malheureusement, nous ont pour beaucoup oubliés. Mais aujourd'hui, ce que je veux dénoncer, ce sont les difficultés que nous, producteurs bio ou en vente directe, rencontrons en cette période inflationniste», déclare la jeune femme.

Si ses légumes trouvent preneurs auprès des Biocoop qu'elle livre à Paris et région parisienne, sur les marchés, dans les Amap qu'elle fournit ou les marchés du samedi matin sur sa ferme, la vente est beaucoup plus difficile pour les pommes de son verger. En ce début mars, il lui reste 50 tonnes à écouler. La récolte 2022 a été très abondante, Clotilde Ghesquière a fait transformer une partie de sa production en jus de pommes, pétillant, compote et confiture, mais elle ne peut aller au-delà. Même si ces produits se conservent longtemps, il faut les stocker et ils ont un impact sur la trésorerie.

Pleine incohérence

«En plus, avec le contexte inflationniste que nous connaissons, j'ai l'impression que les consommateurs font des arbitrages et préfèrent rogner sur la nourriture que sur les loisirs. Bien que je n'ai pas augmenté mes prix de vente aux magasins, ils m'en prennent moins, les ventes ne décollent pas. Pourtant, je fais attention à ne pas augmenter mes prix de vente pour ne pas perdre mes clients. Résultat : mes produits bio sont au même prix que du conventionnel milieu de gamme que l'on trouve en grandes surfaces», se désole-t-elle.

Elle s'est donc résolue à organiser en février un samedi de vente de pommes à 1 EUR/kg. «À ce prix-là, je ne marge presque pas, j'évite juste de jeter la marchandise. Les clients ont été sensibles à cet argument anti-gaspillage. Certains ont acheté 20 ou 30 kg pour faire de la compote et la congeler et j'ai ainsi écoulé 3,5 tonnes dans la journée», poursuit-elle.

Elle réitère l'opération pour la dernière fois de la saison ce samedi 11 mars, de 9 h 30 à 17 h, en vrac. Ensuite, clap de fin pour les pommes, les consommateurs auront plus envie de fruits d'été et direction le tas de compost !

Cette perspective révolte la jeune agricultrice qui cite la médiatisation de ces pommes de Pologne arrivées sur les étals des grandes surfaces alors que des pomiculteurs français ne trouvent pas de débouchés, même à un prix défiant toute concurrence !

«On met en avant le bio, le local, plus vertueux, et on se retrouve avec des produits étrangers dont on ne connaît pas le mode de production. Bref, on importe l'agriculture dont on ne veut pas chez nous, on est en pleine incohérence !», lâche-t-elle.

Même analyse chez Thomas Coevoet, producteur de légumes bio de plein champ à Bonneuil-les-Eaux, même s'il est sur un marché différent puisqu'il vend la production de ses 50 ha à des coopératives ou des metteurs en marché privé. «Après les bons chiffres de 2018 et jusqu'en 2020, 2021 a été une année noire. On avait imaginé que la consommation continuerait d'augmenter mais, au final, un tiers de la marchandise n'a pas trouvé preneur. En 2022, malgré un réajustement des surfaces à la baisse pour coller mieux à la demande, heureusement, les précipitations ont fait défaut, ce qui a limité un peu la production car la demande était moins forte», détaille-t-il.

Avec l'inflation et le contexte socio-économique, les consommateurs se sont en partie détournés des produits bio, ils ont dû arbitrer dans leurs dépenses. Installé depuis plus de 20 ans en bio, Thomas Coevoet s'est donc adapté en diversifiant sa production : il est passé de trois légumes en 2022 à six en 2023 pour garder la valeur ajoutée sur son exploitation et se félicite de ne pas avoir investi dans des chambres frigorifiques comme l'ont fait certains récemment convertis qui se sont lancés dans des secteurs comme le Santerre. «Mes acheteurs peuvent stocker, cela m'évite d'investir dans la conservation, mais j'ai quand même installé l'irrigation et il faut que je l'amortisse maintenant», concède-t-il.

Equilibre du marché

Même si la baisse de la consommation a pesé, Thomas Coevoet pointe le déséquilibre du marché. Les demandes sociétales et l'État poussent à plus de conversions bio, mais le marché n'est pas capable d'absorber l'offre. Bien que les coûts de production en bio aient baissé, il est difficile de vendre toujours moins cher pour écouler les produits. «Il reste des marges de progrès techniques avec l'arrivée potentielle des robots désherbeurs, mais je crois qu'il faut surtout ne pas produire plus que nécessaire», assure Thomas Coevoet. Et c'est bien là tout le paradoxe de la situation actuelle.

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