Agriculteur cherche logement
Dans le Luberon comme ailleurs, la location aux touristes via AirBnB et la vogue des résidences secondaires, amplifiée par le télétravail, rendent l'immobilier inaccessible aux petits salaires. Vignerons, maraîchers et restaurateurs peinent à loger leurs employés.

Où habiter ? La question est nouvelle car, depuis toujours, l'agriculteur vit dans sa ferme et héberge ses saisonniers, de même que le directeur des PTT logeait dans son appartement de fonction et l'instituteur à l'étage de l'école communale. Or l'épidémie de Covid a renforcé l'installation de citadins aisés à la campagne, dans des territoires attractifs tels le Luberon, situé entre vallée du Rhône et Provence. Christian Ruffinatto est maire de Ménerbes, un millier d'âmes : «Une petite maison de village se vend 350 000 EUR, un mas de 3 à 5 MEUR et les villas haut de gamme se louent jusqu'à 12 500 EUR la semaine ! Les enfants du pays ne peuvent plus habiter ici.» Vigneron sur 12 ha, Christian Ruffinatto vendange à la main et héberge ses saisonniers dans une demeure de famille qui, bientôt, ne sera plus disponible. Bien sûr, il apprécie cette valorisation du territoire, les emplois créés dans l'artisanat pour la rénovation et l'entretien des propriétés, chez les paysagistes et jardiniers, les conciergeries, la gastronomie... «Mais les restaurants trouvent difficilement du personnel, tellement les loyers sont élevés.» L'immobilier limite la «théorie du ruissellement» des richesses. «À Cassis, la Poste doit loger ses facteurs !» Sous son impulsion, la municipalité de Ménerbes aménage des appartements abordables dans le village.
Vignerons du Luberon
L'arrivée de touristes et de nouveaux habitants aisés est du pain béni pour les agriculteurs qui pratiquent la vente directe, en particulier maraîchers et vignerons. Certains ne cèdent plus leur raisin à la coopérative, produisent leur vin et leurs bouteilles, majoritairement du rosé pour l'été, «meilleur marché que celui de Provence», souligne Fabrice Monod, du château Fonvert. Les rouges évoquent la vallée du Rhône et les blancs «sont une carte à jouer» car la montagne et la rivière Durance leur apportent une fraîcheur appréciée.
Dans le Luberon, Olivier Monod, grand-père de Fabrice, fut un pionnier. Dès 1957, il acheta une ferme et quelques maisons. Pourquoi Fonvert ? «Car mon grand-père était chirurgien thoracique et opérait dans une clinique voisine, à Lourmarin. En philosophe physiocrate, il considérait que l'agriculture est une source irremplaçable de richesses. Enfin, car le village était protestant.» Théodore Monod, pacifiste et spécialiste des déserts, est son cousin germain. Dans une de ses maisons, il logeait l'écrivain Albert Camus. La ferme d'Olivier Monod pratiquait la polyculture, les raisins partaient à la coopérative, les cerises, pommes, abricots et pêches au marché de Cavaillon, les olives étaient pressées au moulin. Jérôme Monod, fils d'Olivier, fait carrière dans la politique et l'industrie tout en restant attaché à la terre : il recentre l'exploitation sur 25 ha de vigne et vend son raisin à la coopérative et aux voisins qui le vinifient. En 1999, la question de la succession se pose, car Fabrice est producteur de télévision et Guillaume médecin ; les deux frères décident de construire une cave et d'élaborer leurs cuvées, désormais en bio et biodynamie, dans leur domaine de château Fonvert.
Nouveaux vignerons
D'autres suivent l'exemple de la famille Monod. Dès 1980, de nouveaux arrivants achètent des maisons, des fermes. Ils ne cherchent pas le tourisme spectaculaire de la Côte d'Azur, plutôt une luxueuse discrétion. Certains investissent dans la vigne et le vin. Pourquoi le Luberon ? Selon Christian Ruffinatto, «car on a les trois couleurs, et pas seulement du rosé. Le foncier agricole a augmenté mais on partait de bas, aujourd'hui un hectare de vigne se négocie de 15 000 à 20 000 EUR/ha. Certains créent un micro-projet». Comment ces néo-vignerons qui relancent l'activité viticole de la région sont-ils appréciés ? «Bien, s'ils s'engagent pour l'appellation. Moins si c'est en leur nom propre...» Le collectif reste présent, dans cette région où 85 % des propriétaires de vignes sont coopérateurs. «Dans une petite appellation, on est tous soudés, on fait le même métier, que l'on travaille pour la cave coop ou que l'on fasse notre vin. J'accueille bien tout le monde et j'attends de voir comment ils se comportent.» Même en bio, Christian Ruffinatto doit pulvériser des traitements et prévient les occupants des maisons voisines de ses vignes. «Je leur téléphone pour leur demander quand cela les arrange que je passe - pas à l'heure de l'apéro ! Et je traite le minimum, on ne jette pas l'argent par les fenêtres.» Son sens de la médiation et sa simplicité - il nous accueille avec son vieux C15 cabossé - expliquent sans doute sa réélection depuis 1995, malgré les tensions liées à l'arrivée de nouvelles populations qui prononcent Lubéron avec un é aigu. Les natifs du Luberon ne leur en tiennent pas rigueur, même si l'accent révèle la différence.
L'AOC Luberon en chiffres
- 10 caves coopératives représentant 85 % des volumes
- 58 caves particulières
- 23 % rouge, 23 % blanc, 54 % rosé
- 36 communes
- 3 400 ha de vignes dont 20 % en bio
- 160 000 hl de production
(source : www.vins-luberon.fr)
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