L'Oise Agricole 09 avril 2022 a 15h00 | Par Claudine Lavorel

Coût de la prédation : 66 M€ dépensés en 2020

Émilie Bonnivard, députée de la Savoie, vient de présenter les résultats d’une mission d’information sur le coût en dépense publique de la prédation, à la demande de la commission des finances de l’Assemblée Nationale. Des chiffres marquants qui questionne l’efficacité de cette politique publique.

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Émilie Bonnivard a présenté le 8 mars à Aiton (Savoie) les conclusions de sa mission d’information.
Émilie Bonnivard a présenté le 8 mars à Aiton (Savoie) les conclusions de sa mission d’information. - © C.L.

La Commission des finances de l’Assemblée nationale a confié en 2020 à la députée de la Savoie Émilie Bonnivard une mission d’information sur le coût en dépense publique de la prédation. Au travers de très nombreuses auditions, la députée a amené des éléments de réponses précis et objectifs pour fournir une estimation en coûts complets de la politique d’encadrement des effets de la prédation sur le pastoralisme et de son évolution depuis dix ans. La volonté de la députée a été plus largement de questionner, dans ce contexte, l’avenir des pratiques pastorales et la pertinence à réviser le cadre de protection stricte des grands prédateurs.

Savez-vous compter les loups ?

En 2009, la France comptait 194 loups sur son territoire et en 2015, un nombre de 293 loups était officiellement estimé par l’ONCFS (devenue depuis OFB, Office français de la biodiversité). En 2021, 624 loups ont été officiellement comptabilisés dans l’Hexagone, avec une marge d’erreur comprise entre 414 et 834 individus. Selon les chasseurs et la profession agricole, leur nombre est bien plus élevé que les chiffres annoncés par l’OFB. Une évaluation alternative est en cours de construction, sous l’autorité du préfet coordonnateur. Ces 624 loups sont aujourd’hui répartis sur 125 zones de présence permanente. Ce qui confirme une augmentation exponentielle du nombre de loups et du nombre de zones de présence en seulement cinq ans. Ils ont aujourd’hui colonisé plus de quarante départements.

Le loup n’est plus une espèce menacée

La dynamique démographique de l’espèce en France montre que la politique européenne de protection stricte de l’espèce a fonctionné. Le loup n’est plus considéré comme une espèce menacée, même si la députée n’est pas parvenue à disposer d’éléments objectifs au niveau européen «qui permettraient de connaître le nombre d’individus et l’espace géographique nécessaire au bon état de conservation de l’espèce».

Ce refus de chiffrer le nombre de loups en Europe constitue une vraie difficulté en matière de définition et d’adaptation d’une politique publique européenne, avec des impacts particulièrement lourds pour le monde agricole.

Concernant la population d’ours, ayant fait l’objet de réintroductions ayant permis ensuite une croissance naturelle, elle comptait 15 individus en 2006, 32 en 2015, puis 64 en 2020, témoignant du doublement de la population ursine en cinq ans. Cette population est très concentrée dans un territoire restreint en Ariège.

Une croissance des attaques

La présence accrue des grands prédateurs a pour conséquence directe la multiplication et la croissance continue, ces quinze dernières années, du nombre d’attaques d’animaux d’élevage, des ovins en premier lieu. Le nombre de constats d’attaques a explosé entre 2010 et 2020, passant de 984 à 3.730 attaques constatées, soit trois à quatre fois plus en dix ans. Le nombre de victimes parmi les bêtes d’élevage a été multiplié par trois : alors qu’en 2010, 3.791 victimes du loup étaient recensées, leur nombre a atteint 11.849 en 2020. Malgré le déploiement des mesures de protection, dont les bergers et les chiens de protection, les niveaux d’attaques et de pertes restent extrêmement élevés pour les éleveurs qui les subissent. Si le nombre de victimes de l’ours reste inférieur au nombre de victimes du loup, leur croissance est particulièrement forte depuis plusieurs années. En 2020, 930 animaux ont été indemnisés à la suite d’une attaque d’ours, contre 247 en 2015, soit une hausse de 277 %.

Explosion de la dépense publique et des attaques

Dans sa mission d’information, la députée Bonnivard a recensé le coût de cette politique. Le coût des mesures de protection, prises en charge en partie par l’État et l’Union européenne, est passé d’environ 6,20 millions d’euros (M€) en 2010 à 18,76 M€ en 2015, puis à 29,76 M€ en 2020, un coût pratiquement multiplié par cinq en dix ans. Les dépenses d’indemnisation ont également augmenté, passant d’un peu plus d’1 M€ en 2010 à 2,88 M€ en 2015, puis à 4,54 M€ environ en 2020. Cette politique entraîne bien d’autres dépenses pour les pouvoirs publics, qui ont fortement augmenté ces dernières années, dont des dépenses de personnel estimées à 11,45 M€ en 2020 et qui comprennent la création de postes de préfets coordonnateurs, les personnels dédiés en Central et dans les services déconcentrés, les personnels recrutés à l’ASP ou encore ceux de l’OFB et de la brigade grands prédateurs. D’autres dépenses ont augmenté comme le défraiement des louvetiers pour leurs interventions et des mesures complémentaires spécifiques au massif des Pyrénées.

Plus de 66 M€ en 2020

Au total, le coût pour la puissance publique de cette politique publique représente a minima 56,02 M€ en 2020. A minima, car cette évaluation est la plus exhaustive qu’il a été possible de réaliser. Elle exclut des dépenses réalisées par les communes, les départements et les régions. À cette dépense publique, il convient d’ajouter des dépenses prises en charge par des acteurs privés, dont les éleveurs et les chasseurs, par exemple. L’effort national global s’élèverait ainsi a minima à 66 M€, dont presque 8 M€ de reste à charge supporté par les éleveurs. En définitive, depuis 2004, la dépense globale de protection des troupeaux au titre de la prédation par le loup s’élève à plus de 200 M€. Logiquement, la hausse constante du coût de cette politique publique et des moyens afférents depuis dix ans devrait se traduire, selon son objectif, par une décroissance du nombre d’attaques et de victimes, et par une baisse du nombre d’animaux indemnisés. Or, il n’en est rien. Le nombre de victimes a poursuivi sa croissance. Au cours des dernières années, la courbe des dépenses liées aux mesures de protection et la courbe du nombre de victimes de la prédation n’ont fait qu’évoluer de manière parallèle. Cette dynamique s’observe également pour l’ours.

Une politique inefficace

La députée a le sentiment d’une fuite en avant de la dépense, des moyens humains engagés, des attaques, des victimes, «sans que l’on ne parvienne à réellement résorber le tout. Il est donc urgent d’interroger la Commission européenne sur le caractère désormais adapté et sur l’avenir de ce cadre légal fortement contraignant de maintien d’une protection stricte de ces espèces, dont la croissance est exponentielle pour le loup notamment, et dont les conflits sont nécessairement amenés à se renforcer sur les espaces pastoraux, à moins d’accepter une croissance toujours plus forte de la dépense publique, une multiplication des tirs dérogatoires, ou une modification et un affaiblissement fondamental du pastoralisme dans sa forme ancestrale (plusieurs mois d’estives et de pâturage, hors de l’étable). De manière générale, cette politique publique souffre d’un déficit important d’évaluation aux niveaux national et européen». Lors de la présentation de ce rapport, en Commission des finances le 23 février dernier, Émilie Bonnivard a demandé aux députés présents de s’interroger sur la place de l’homme et de ses activités dans la nature. «Je m’intéresse également dans mon rapport à la question de la présence du requin à La Réunion, qui devrait faire l’objet d’un rapport à part entière, et qui pose des questions similaires à celles des prédateurs dans les espaces de montagne, mais avec des drames humains terribles vécus depuis de nombreuses années».

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