L'Oise Agricole 10 mars 2023 a 15h00 | Par DLC

La dernière clouterie française est à Creil et elle est à la pointe de l'excellence

Difficile d'imaginer que se cache à Creil une pépite de l'industrie qui perpétue, avec des machines d'époque, un savoir-faire désormais orienté vers un travail sur commande pour des usages spécifiques, souvent liés à la restauration historique ou au luxe.

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Ateliers et machines sortis direct de la fin du XIXe siècle fabriquent encore des clous de qualité et de haute technicité.
Ateliers et machines sortis direct de la fin du XIXe siècle fabriquent encore des clous de qualité et de haute technicité. - © DLC

C'est au sein du bassin industriel de Creil, développé au XIXe siècle autour de sa gare de marchandises et grâce à une main-d'oeuvre qualifiée, que Théodore Rivierre, fils aîné de paysans vendéens, installe son usine en 1888. Il a acheté le brevet d'une machine à faire des clous à partir de fils métalliques alors que jusqu'à présent, la fabrication des clous et pointes était l'affaire des forgerons. Il développe avec succès la production de semences, petits clous utilisés en cordonnerie et tapisserie. L'usine comprend de nombreuses machines et emploie alors 400 salariés.

Malheureusement, Théodore Rivierre décède prématurément en 1900, laissant sa jeune épouse de 27 ans, Marie, comme héritière. Pendant 35 ans, elle va développer le site de production jusqu'à avoir plus de 1.000 machines actionnées par la vapeur 24 heures sur 24, dans un vacarme assourdissant. Elle commercialise les productions à l'export et rachète plusieurs de ses concurrents. Les clous Rivierre sont alors vendus dans le monde entier.

Elle se soucie néanmoins du sort de ses ouvriers et fait construire pour eux des maisons avec jardins et dès 1925, installe l'électricité dans l'usine pour chaque machine, améliorant considérablement le confort de travail. Elle quittera l'usine en 1935, laquelle sera ensuite revendue plusieurs fois. Même si le nom est resté, la clouterie actuelle n'a plus rien à voir avec la famille Rivierre, toujours installée dans l'Oise.

Les dégâts subis pendant la Seconde guerre mondiale puis la concurrence des colles et des agrafes mettent à mal l'usine qui diversifie ses gammes et se recentre sur le travail à la commandes ou pour des usages spécifiques. La clouterie Rivierre appartient aujourd'hui à son ancien directeur, Luc Kemp. 17 personnes sont salariées dont six à la production, qui s'effectue toujours sur 300 machines d'origine !

Un savoir-faire unique

Les bobines de fils, matières premières des clous et pointes, sont achetées en Angleterre et en Italie car la France ne produit pas d'acier doux, indispensable pour ne pas endommager les machines à clous d'époque qui travaillent à froid. Chaque fil est happé par la machine, puis des presses viennent lui donner la forme et la longueur désirées, ainsi que la forme de la tête et de son embout pointu. Les machines sont graissées avec de l'huile de colza et à la fin de chaque fabrication, les clous ou pointes sont lavés pendant deux heures dans des tambours avec de la sciure de bois. Certains sont ensuite bleuis par chauffage dans le four en briques à charbon d'époque, allumé une fois par semaine. La température monte entre 300 et 400°C. Cette opération nettoie et évite la corrosion, elle concerne surtout les semences utilisées en tapisserie, les artisans tapissiers tenant beaucoup leurs clous en bouche avant de les poser au fur et à mesure ! Plusieurs matériaux sont travaillés : acier inoxydable, aluminium, laiton, maillechort (mélange de zinc, cuivre et nickel)... Toute la chaîne de fabrication est maîtrisée sur place et notamment l'entretien et la réparation des machines centenaires.

De même, les paquets de clous vendus au poids sont empaquetés de la même façon depuis plus de 150 ans : un rectangle gris en carton, façonné selon un gabarit d'époque en bois de châtaignier en bois et fermé grâce à des pliages consolidés par une ficelle naturelle. Y est apposée la même étiquette avec un lion, symbole choisi en son temps par Marie Rivierre ! Bien entendu, avant de remplir le paquet, les clous sont tamisés pour trier les non conformes.

Multiples usages

La clouterie Rivierre affiche pas moins de 2.800 références et travaille à la demande de ses clients pour des utilisations bien spécifiques. Clous forgés puis vieillis pour la rénovation des portes du château de Chantilly, clous sur mesure en acier galvanisé pour la construction de L'Hermione ou de bateaux en bois, pointes en acier inoxydables et sans tête sur lesquels sont fixés les filets de moules de bouchots, clous mariniers bleuis à tête martelée pour des portes à Besançon, mais aussi tire-fond pour fixer les rails sur les traverses de chemin de fer.

En beaucoup plus petits et pour une clientèle exigeante, des clous en maillechort spécialement créés pour de la maroquinerie de luxe, des goujons (clous avec deux extrémités pointues) pour jointer les bandes de bois des tonneaux, des clous pour fixer le manche en bois sur les couteaux Laguiole ou Opinel, d'autres en aluminium demandés par l'ONF pour fixer des panneaux de signalisation sur des arbres. Du sur-mesure et une qualité qui s'exportent désormais à 70 %, principalement en Europe. À l'heure du constat de la désindustrialisation de la France, de la perte des savoir-faire et de la médiocrité made in ailleurs, voilà qui ferait sans doute la fierté de Marie Rivierre.

Acheter des clous

Professionnels et particuliers peuvent se fournir directement auprès de l'usine sur le site www.clous.eu

Ils y trouveront des clous et pointes pour la tapisserie, la cordonnerie, des clous forgés et des clous spécifiques pour la construction navale ou la restauration de bâtiments. Une page de vocabulaire permet de s'y retrouver entre clous, pointes, semences, bossettes, cavaliers, conduits et crampillons et leurs différentes têtes : plate, bombée, martelée, diamant, homme... De quoi devenir incollable, euh inclouable !

Visiter la clouterie Rivierre

En 2007, la clouterie Rivierre a reçu le label Entreprise du patrimoine vivant qui promeut les entreprises détentrices d'un patrimoine économique, c'est-à-dire d'outils et de savoir-faire renommé ou ancestraux, alliant technicité et ancrage territorial.

Elle propose des visites guidées d'une heure 30 aux groupes scolaires, adultes ou particuliers, tous les mercredis à 14 heures.

Contact et inscription préalable obligatoire : tourisme@clous-rivierre.fr

Tél. 07 69 85 69 60 - www.clous-rivierre.com

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