L'Oise Agricole 16 décembre 2021 a 09h00 | Par Linda Monnier, Dominique Lapeyre-Cavé, Dorian Alinaghi

«Actions ZNT, traités comme des délinquants pour défendre nos droits»

3 h 30 ce mardi : rendez-vous est donné à la maison de l’agriculture. Un second point de départ est fixé sur le Pays de Valois. Nous savons que nous partons vers Paris, mais la destination finale est inconnue.

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Les manifestants contestaient la décision du Conseil d'Etat. (© FDSEA)  © FDSEA  © FDSEA  © FDSEA  © FDSEA  © FDSEA  © FDSEA

Beaucoup de mystère sur la cible de l’action choisie et pour cause… pas question d’être arrêtés par les forces de l’ordre. Consigne : mettre les téléphones en mode avion pour ne pas être géolocalisés et première étape du trajet, le parking du stade de France pour regrouper tous les participants de l’Oise. 4 h 30 : nous rejoignons nos collègues. Nous sommes une trentaine à nous installer dans un parking souterrain, près du Louvre. Seulement trente, me direz-vous ? Il n’en faut pas plus, l’action sera brève (ou du moins, nous le pensions tous !), c’est une action coup de poing.

Plusieurs voitures sont déjà garées, des agriculteurs venus du Nord-Pas de Calais, de la région parisienne. Coffres ouverts, on prend le café et comme à chaque début de manifestation, un moment d’échanges se déroule, avant le top départ donné à 5 h 50 pour remonter à la surface. Nous avons rendez-vous au Conseil d’État, à côté du Palais royal. Régis Desrumeaux explique que cette institution a été choisie car, en juillet, elle a donné 6 mois au gouvernement pour modifier sa copie concernant les ZNT, imposant le principe de précaution, saisie et poussée par des ONG militantes. La profession a travaillé sur ce dossier et reste toujours force de proposition, mais veut que soit prises en compte nos revendications sur la réciprocité de nouvelles habitations, sur la compensation financière car aujourd’hui ce sont les agriculteurs qui paient ces ZNT.

Arrivés devant le Conseil d’État, tout se met en place très vite. Les collègues d’Île-de-France déposent des tôles, de la terre, puis des palettes et allument ce feu qui sera celui de la colère. Les discours des responsables expliquent le pourquoi de cette action et la grogne de chacun !

Doucement, les CRS arrivent. Peu nombreux, car l’action se déroule sans altercation, ni dégradation, dans le respect des biens et des personnes. Mais, après une heure, d’autres CRS arrivent, on se sent maintenant encerclés. Damien Greffin, président du grand bassin parisien, nous indique que deux responsables ont été extraits du groupe et vont être mis en prison pour avoir voulu échanger sur le déroulé de cette action. S’ensuit alors une négociation pour les faire revenir, qui durera une demi-heure et aboutira, non sans mal. Mais plus ça va, plus les CRS affluent, leur système de pince se referme. Nous sourions, car n’ayant rien fait de mal à part être là, ils ne vont pas nous charger…

Des cars et estafettes arrivent. Damien Greffin nous indique que les CRS ont reçu ordre de nous charger dans les véhicules pour un contrôle d’identité. Comme du bétail, nous montons sans aucune animosité et quelques boutades fusent.

Une cinquantaine de personnes sont chargées dans le bus (pas forcément dans le respect du bien-être animal et encore moins celui des gestes barrières !). L’ambiance reste toujours bon enfant, c’est juste pour un contrôle d’identité, mais quelle perte de temps pour ces fonctionnaires. Les grands chefs ont décidé, donc ils obéissent !

Le bus part et on nous débarque dans un commissariat du XVIIIe arrondissement. Nous devons sortir notre pièce d’identité. Premier passage devant une table pour remplir un premier papier. Puis une seconde table : des policiers, que l’on sent dépités de nous faire subir cela, remplissent un autre formulaire. On me lit mes droits et on me demande la personne à contacter. Le contrôle d’identité n’est plus : nous sommes en garde à vue ! La raison ? Refus de dispersion suite à la première somation des forces de l’ordre pour une manifestation non déclarée. Heure de début de garde à vue : 8 h 20. Hallucinant ! Nous sommes donc pris pour des délinquants. Va s’en suivre le retrait de tous nos effets personnels, comme à la télé : lacets, ceinture, plus de portables (pas le temps de prévenir où nous sommes). Après la fouille et inventaire de nos effets personnels, on nous enferme dans une cellule à plusieurs, plus que rudimentaire, sale et malodorante. Tout comme les vrais délinquants qui sont dans les cellules voisines, on nous prendra en photos, on passera individuellement en audition, on relèvera nos empreintes. Le policier qui fera mon audition a été réquisitionné et a dû abandonner une affaire de stupéfiant. Affligeant !

Nous restons plusieurs heures en isolement, combien de temps ? impossible de l’estimer, sans montre, sans fenêtres, juste une porte vitrée. Attendre en espérant… À 15 heures, les premiers sont remis en liberté. On ressort un par un, abasourdi par toutes ces heures d’isolement. Un goût amer que l’on oublie vite en retrouvant les collègues libérés et en apprenant que la FNSEA, le grand bassin parisien, JA et surtout les agriculteurs de l’Oise se mobilisent afin de faire pression pour que nous sortions tous. L’émotion est grande, car c’est aussi la force de notre réseau et la solidarité !

Nous nous retrouvons dans un café près du Louvre où les responsables du grand bassin parisien ont installé leur quartier général. La liste des agriculteurs encore en garde à vue est dressée. À 17 heures, la moitié y est toujours.

C’est le top départ des actions de barrages filtrants sur plusieurs points du département de l’Oise. Plus de 90 personnes se mobilisent pour exiger la libération des gardés à vue. 19 h 30 : tous sortent. Preuve en est que notre réseau est fort et toujours là ! Cette puissance est unique !

- © FDSEA

Pression pour libérer les gardés à vue

Le long de l’autoroute A1, un premier rassemblement est organisé à la sortie Ressons-sur-Matz. «On avait suivi le déroulé de la journée et mobilisé en amont les agriculteurs des cantons de Ressons et Maignelay ainsi que les JA», témoigne Rémi Minart. Ils sont au final une dizaine de tracteurs et une vingtaine d’agriculteurs à mettre la pression, tout en laissant les automobilistes circuler. «On a levé le camp dès la consigne, mais il était important pour nous d’apporter notre soutien moral aux gardés à vue.»

D’autres manifestants ont occupé la sortie numéro 10 de l’autoroute A1, à Arsy. Sous la houlette d’Hubert Fréville et d’Alain Cugnet, les adhérents de Compiègne et Creil se sont mobilisés très rapidement. «Nous avons reçu la consigne à 18 h et, une demi-heure plus tard, nous étions 10 tracteurs et 25 agriculteurs sur place. J’avoue que les adhérents ont fait preuve d’une belle réactivité», se félicite Hubert Fréville. La circulation sortie autoroute a été ralentie mais pas stoppée jusqu’à 20 heures environ. Mêmes consignes un peu plus au Sud, près de Senlis, où les adhérents de Senlis et Pays d’Oise et d‘Halatte ont convergé vers 17 heures. Vincent Boucher, qui était à Paris le matin-même, mais a échappé au panier à salade faute de place, était à la manœuvre. «Nous avons d’abord ralenti la sortie puis l’entrée de l’autoroute, en évitant de créer un bouchon car, avec la circulation intense, cela peut vite devenir dangereux.» Les adhérents de Pont-Sainte-Maxence, venus en cortège de tracteurs, les ont rejoints et tous ont levé le camp entre 19 et 20 heures dès réception de la consigne. Enfin, entre Le Plessis-Belleville et Nanteuil-le-Haudouin, quelques tracteurs et agriculteurs ont ralenti la circulation sur la nationale 2 en direction de la province. «Pour éviter l’accident, on avait convenu avec la gendarmerie de bloquer une voie jusqu’à la consigne de départ», témoigne Jean Lefèvre. «Nous avons été malmenés par les forces de l’ordre lors de cette action pacifique à Paris. D’autres ne sont pas aussi mal traités lorsqu’ils cassent. C’est vraiment deux poids-deux mesures. Le Conseil d’État doit juger en droit et par dogmatisme», regrette Guillaume Chartier.

Du côté de Saint-Léger-en-Bray, Armelle Fraiture s’est présentée en tant qu’animatrice JA Somme à Paris. «La FNSEA Grand Bassin Parisien a géré l’action à Paris. Une manifestation pacifiste qui s’est déroulée dans le calme, mais qui n’a pas empêché une journée de garde à vue pour un trop grand nombre de nos camarades. Outre le fait principal de soutenir et de faire sortir les 30 derniers agriculteurs en garde à vue dans les différents commissariats Parisiens, avec les présidents de SEA et les autres présidents de cantons JA, nous nous sommes mobilisés en fin de journée pour bloquer plusieurs autoroutes et nationales de l’Oise afin de dénoncer et montrer notre mécontentement suite aux interpellations des 70 agriculteurs, et face aux conditions déplorables et les humiliations qui leur ont été infligées», affirme-t-elle. En moins d’une heure, près de 40 tracteurs se sont mobilisés pour bloquer plusieurs points dans l’Oise. «Cela fait chaud au cœur de voir que la solidarité au sein de notre réseau est belle et bien présente !» ajoute-t-elle.

A Crèvecœur-Le-Grand, Laurent Deletoille, président de ce canton, s’est retrouvé dans la même situation, le flou. «On n’avait pas trop d’informations, on suivait en direct l’actualité sur WhatsApp.» Dès lors, il a prévenu quelques amis agriculteurs afin de commencer une mobilisation. «Cependant, on se demandait ce que l’on allait faire. J’avais prévenu la gendarmerie de Crèvecœur-Le-Grand d’une action potentielle sur notre canton. Du coup, il y a eu des trois voitures de gendarmerie.» Situation cocasse, il a contacté un animateur de la FDSEA, Matthieu Levert, afin d’avoir plus de précisions. Le point de rendez-vous était à Beauvais. «J’ai donc prévenu la gendarmerie, en tout bien tout honneur, que la mobilisation n’aura pas lieu dans notre canton (rire)». Pour lui, cette manifestation était primordiale et importante à montrer. «Si cela devait être réalisé une nouvelle fois, dans un futur proche ou lointain, il faudrait sûrement prévoir un plan B pour éviter des situations critiques vécues mardi.»

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