L'Oise Agricole 30 avril 2020 a 09h00 | Par AG

Covid-19 : Bruxelles répond avec des moyens... limités

Sous pression, la Commission européenne a fini par présenter un paquet de mesures d’urgence pour intervenir sur les marchés agricoles les plus affectés par l’épidémie de coronavirus. Au programme : des soutiens au stockage privé de produits laitiers et – c’est plus inédit – de viande, et des dérogations aux règles de la concurrence dans plusieurs secteurs.

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Pour le beurre, le volume estimé est de 140 000 t, à stocker pendant au moins trois mois et au maximum sept mois, avec un budget de 14 millions E.
Pour le beurre, le volume estimé est de 140 000 t, à stocker pendant au moins trois mois et au maximum sept mois, avec un budget de 14 millions E. - © Jerome Chabanne

Pressée de toute part, recevant un flot ininterrompu de lettres – des États membres, d’eurodéputés et d’organisations professionnelles européennes ou nationales – depuis des semaines, pour lui demander d’agir, la Commission européenne a fini par céder. Elle a proposé le 22 avril des mesures d’urgence pour soutenir les marchés agricoles les plus touchés par la crise liée à l’épidémie de coronavirus, notamment des aides – très attendues – au stockage privé dans les secteurs des produits laitiers et de la viande –, des dérogations aux règles de la concurrence pour les opérateurs des secteurs les plus durement touchés, ainsi qu’une certaine souplesse en ce qui concerne les programmes nationaux pour les secteurs des fruits et légumes ou du vin.

«Les mesures proposées sont, en l’état actuel de l’évolution du marché, destinées à envoyer un signal visant à stabiliser les marchés et sont considérées comme les plus appropriées pour assurer la stabilité des prix et de la production futurs et donc un approvisionnement alimentaire stable et la sécurité alimentaire», a commenté le commissaire européen à l’Agriculture, Janusz Wojciechowski. Mais la question se pose encore quant aux moyens que Bruxelles pourra allouer à ces mesures. À ce stade, quelque 88,5 millions E d’argent frais issu des marges du budget agricole 2020 seraient prévus pour le soutien stockage privé. Pour le reste il s’agirait principalement de la réorientation de fonds pas encore dépensés. Ces mesures, susceptibles d’évoluer au fil des discussions, devaient être adoptées d’ici la fin du mois d’avril après un vote des États membres pour une entrée en application dès le début du mois de mai, espère Bruxelles.

100 000 t de fromage, 90 000 t de poudre et 140 000 t de beurre

L’aide au stockage privé concernera les produits laitiers et la viande (bovine, ovine et caprine) et permettra le retrait temporaire des produits du marché pour une durée minimale de deux à trois mois et maximale de cinq à six mois. Ce dispositif serait doté d’une enveloppe évaluée à 88,5 millions E. Mais tout dépendra du recours qui sera fait au stockage dans les États membres en termes de volumes et de durée de stockage.

Pour les produits laitiers, la Commission propose des volumes à retirer temporairement du marché avec une répartition, provisoire, par État membre. L’aide au stockage privé pour les fromages concernera un volume maximum de 100 000 t à conserver en stock pendant une période de deux mois minimum à sept mois maximum pour un budget total évalué à 10 millions E. En termes de répartition : 21 700 t pour l’Allemagne, 18 400 t pour la France, 12 600 t pour l’Italie, environ 8 000 t pour la Pologne et les Pays-Bas... Pour la poudre de lait écrémé, le volume est estimé à 90 000 t, avec un budget total de 6 millions E, à stocker soit pendant une année complète, soit pendant une période de trois à sept mois au maximum. Pour le beurre, le volume estimé est de 140 000 t, à stocker pendant au moins trois mois et au maximum sept mois, avec un budget de 14 millions E.

Viande bovine : une première

L’exécutif de l’UE a également confirmé une aide au stockage privé pour la viande bovine – un dispositif encore jamais pratiqué dans l’UE – pour un volume total de 25 000 t et un budget de 26 millions E. Pour les viandes ovine et caprine, des secteurs où de telles mesures n’ont pas été pratiquées au cours des vingt dernières années, il est proposé de stocker un volume total de 36000 t avec un budget de 20 millions E. Enfin, à cela s’ajoute un soutien au stockage de viande de veau qui devrait nécessiter une enveloppe d’environ 10 millions E.

Par ailleurs, la Commission accordera des souplesses dans les programmes nationaux pour le vin, les fruits et légumes, l’huile d’olive, l’apiculture et le programme de distribution de lait et de fruits et légumes dans les écoles afin de réorienter les priorités de financement vers des mesures de gestion de crise pour ces secteurs.

Pour les organisations de producteurs dans le secteur des fruits et légumes, les fonctionnaires suggèrent, par exemple, d’augmenter les dépenses éligibles pour les mesures de prévention et de gestion des crises, de relever les plafonds de l’aide financière de l’Union en cas de réduction de la valeur des produits et de réduire les contrôles administratifs. En ce qui concerne l’apiculture, les capitales nationales seraient autorisees à modifier leurs programmes et à reporter l’application des mesures correspondantes jusqu’au 15 septembre.

Distillation de crise

Pour le secteur du vin, la Commission européenne avait déjà précisé le 20 avril à l’occasion de la réunion de l’intergroupe vin du Parlement européen, co-présidé par la Française Irène Tolleret, la teneur de ces mesures. Elle devrait notamment permettre : la distillation de crise, y compris pour la production de gels hydroalcooliques, une augmentation du taux de soutien de l’UE pour toutes les mesures prévues dans le cadre des programmes nationaux, la possibilité de modifier ces programmes plus de deux fois par an et des flexibilités en matière de vendange en vert (extension des délais, vendange en vert partielle...). Bruxelles va également, comme cela est demandé par le secteur, prolonger d’un an les autorisations de plantation et de replantation.

La Commission réfléchirait aussi à développer le commerce électronique. Par contre, Bruxelles refusera de mettre en place des restitutions à l’exportation, des aides à l’arrachage des vignes, ou encore l’autorisation du mélange de différents millésimes (2019 et 2020) qui va à l’encontre de la politique de qualité du vin.

Cartels de crise

Enfin, Bruxelles va permettre des dérogations exceptionnelles aux règles de concurrence de l’UE pour une période maximale de six mois pour les secteurs du lait, des fleurs et des pommes de terre permettant aux opérateurs d’adopter des mesures d’auto-organisation: planification de la production de lait, retrait de produits du marché pour les secteurs des fleurs et des pommes de terre, et autorisation de stockage par des opérateurs privés. Dans certains pays, notamment en France, ces mesures de planification de la production ont déjà été lancées dans la filière laitière. Une fois l’article 222 du règlement OCM activé, pourront donc être formés des cartels de crise, comme le demandent certains depuis des semaines, autorisant des actions de retrait de produits du marché, de distribution gratuite, de promotions conjointes et de planification de la production. Toute action de ce type devra être signalée à l’autorité compétente de l’État membre concerné, qui en informera ensuite la Commission de Bruxelles.

Une première étape

L’ensemble de ces mesures était demandé depuis des semaines par les parties prenantes. Les ministres de l’Agriculture de l’UE avaient signé le 17 avril une déclaration commune appelant la Commission européenne à «activer en urgence des mesures supplémentaires dans le cadre de la Pac». En tête de leurs exigences figuraient justement l’aide au stockage privé et la mise en oeuvre des mesures d’urgence prévues par le règlement OCM.

Prochaines étapes dans la mise en oeuvre des nouvelles mesures d’urgence : Janusz Wojciechowski devait présenter ces dispositions aux eurodéputés probablement le 30 avril. Dès lors les experts des États membres pourront discuter des détails du paquet lors du comité spécial Agriculture prévu pour le 5 mai, tandis que la présidence croate du Conseil organisera un débat ministériel en visioconférence le 12 ou le 13 mai. L’occasion pour les Vingt-sept de faire un nouveau point sur la situation des productions agricoles et de demander si nécessaire des mesures supplémentaires.

Des parlementaires européens demandent d’aller plus loin

Au Parlement européen, Anne Sander (groupe PPE démocrate-chrétien) vient d’être nommée rapporteur permanent des actes de mise en oeuvre de l’OCM unique. Elle aura donc la charge de suivre ces mesures de crise. Selon elle, ces annonces sont «une première étape mais il faudra aller beaucoup loin», notamment en termes financiers. Comme l’a aussi demandé le président de la commission parlementaire de l’Agriculture Norbert Lins, elle serait favorable au déploiement de la réserve de crise par laquelle la Commission pourrait mettre à disposition jusqu’à 478 millions E. Mais les États membres qui ont la main sur ce dossier y sont très réticents car il s’agit de fonds qui sont prélevés sur les paiements directs des agriculteurs. Anne Sander espère au moins que le fonctionnement de cette réserve de crise pourra être revu dès l’année prochaine dans le cadre des mesures transitoires sur la Pac. Elle a déposé un amendement en ce sens alors que la commission parlementaire doit se prononcer sur ce dossier le 28 avril.

Pour sa collègue Irène Tolleret (groupe centriste Renew Europe), les annonces de la Commission sont encore insuffisantes, et elle déplore le manque «de soutien supplémentaire pour certains secteurs aussi très touchés par cette crise» comme l’horticulture ou la viticulture.

Pour le président de la commission de l’Agriculture du Parlement européen, Norbert Lins, qui avait adressé une lettre au commissaire Janusz Wojciechowski juste avant les annonces, une des leçons à tirer de cette crise doit être «la réaffectation adéquate des ressources de la Pac dans le nouveau cadre financier pluriannuel. Nous attendons que ce nouveau cadre accorde à la politique agricole l’attention qu’elle mérite, et nous comptons sur vous pour le mettre en oeuvre».

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