L'Oise Agricole 23 juin 2022 a 09h00 | Par J.G.

Comprendre le système «C'est qui le patron ?!»

La marque des consommateurs «C'est qui le patron?!» (CQLP) vient de franchir une nouvelle étape de son développement en lançant ses premiers produits commercialisés sous des marques nationales partenaires. Créée il y a seulement sept ans, CQLP a connu un succès fulgurant.

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La marque des consommateurs a conquis 14,5 millions d'acheteurs réguliers ou occasionnels et engrange annuellement 103 MEUR de chiffre d'affaires.
La marque des consommateurs a conquis 14,5 millions d'acheteurs réguliers ou occasionnels et engrange annuellement 103 MEUR de chiffre d'affaires. - © Agence de presse

Le succès des produits de la marque «C'est qui le patron ? !» (CQLP) ne se dément pas. Sept ans après l'arrivée dans les rayons des premières briques de lait bleues estampillées du logo aux grands yeux ronds, la marque des consommateurs a conquis 14,5 millions d'acheteurs réguliers ou occasionnels et engrange annuellement 103 MEUR de chiffre d'affaires. Beurre, oeufs, miel, farine, pommes de terre... Au fil des années, plus d'une trentaine de produits ont été lancés et plus de 12 000 sociétaires-consommateurs ont rejoint la coopérative.

Commercialement, le modèle est connu : animés par les fondateurs de la marque, dont le très médiatique Nicolas Chabanne, sociétaires et consommateurs élaborent le cahier des charges d'un produit (du beurre, du jam- bon...). La fabrication et la commercialisation seront ensuite sous-traitées par un contrat de licence à un industriel, qui n'apparaîtra pas sur le packaging. C'est, par exemple, la laiterie de Saint-Denis de l'Hôtel (LSDH) pour le lait, Cémoi pour le chocolat ou encore St Mamet pour les purées de pommes. La SAS C'est qui le Patron touche 5 % sur les ventes des produits.

Après sept ans d'existence, ce modèle de commercialisation a fini par se diversifier, d'abord par les sollicitations des grandes marques et des distributeurs. Depuis le lancement de l'aventure CQLP en 2016, les coups de fil de marques souhaitant s'associer au mouvement se sont enchaînés, raconte Nicolas Chabanne. Presque tous ont été vains. «On ne veut pas servir de caution à une marque qui n'irait pas au bout de l'histoire.»

Un modèle attractif

Il faut dire que dans les box de négociations avec la grande distribution, les discussions sont plus apaisées quand il s'agit des produits CQLP, témoigne Sébastien Courtois, administrateur de Sodiaal, partenaire pour la fabrication du beurre : «Ils ne négocient pas, pourvu que le produit fonctionne dans leurs magasins». «Personne n'a intérêt à aller négocier quand tout le monde gagne sa vie, analyse Nicolas Chabanne. Si nous, on est prêts à payer un produit en connaissance de cause, on sort les acteurs de cette relation où il faut absolument essayer de faire baisser les prix.»

La marque ne fixe pas les marges que prendront l'industriel et le distributeur : la loi l'interdit. Mais il fixe un «prix de vente voté conseillé». Il est établi en fonction des critères de qualité choisis par les consommateurs et ce, afin de garantir une «juste» rémunération pour le producteur. C'est par exemple 43 cts minimum par litre de lait, sur un prix de vente conseillé de 1,03 EUR par brique de lait en rayon. En pleine crise du bio, CQLP lancera d'ailleurs en septembre une brique de lait bio à 1,25 dont 55 cts pour le producteur.

Voilà pour le modèle initial. Mais finalement les douze mille sociétaires de CQLP ont décidé, en décembre 2020, de mettre leurs cahiers des charges à la disposition de toutes les entreprises alimentaires afin de créer des «ingrédients équitables» distribuées avec des marques nationales partenaires. Cette nouvelle étape dans le développement de CQLP est sur le point d'aboutir. La marque des consommateurs certifiera bientôt deux produits aux compositions peu élaborées : un jambon de la marque Fleury Michon et un fromage de Duo Lozère, a annoncé récemment Nicolas Chabanne.

Finalement, des partenariats

Le fondateur se refuse à parler de label, préférant le terme de «partenariat». Ces deux produits devraient faire leur apparition dans les rayons dans quelques mois, avec un visuel signalant l'association entre la marque nationale et les sociétaires de la coopérative de consommateurs. Et d'autres marques nationales ayant fait part de leur intérêt pour travailler avec CQLP devraient bientôt suivre.

Le principe ? Les ingrédients principaux de ces produits seront soumis aux cahiers des charges votés collectivement par les sociétaires et devront respecter les mêmes obligations que les produits distribués sous la marque CQLP, notamment en termes de rémunération du producteur. Le tout sera régulièrement contrôlé par ces mêmes sociétaires. «Ça sera la transparence totale sur les tenants et les aboutissants, assure Nicolas Chabanne. C'est tout le système de CQLP qui se déverse positivement sur l'histoire d'une marque.»

En 2018, la marque des consommateurs avait déjà développé une forme de label, mais seulement pour certains produits bruts de marque de distributeur (MDD), apposé notamment sur le lait de la Monoprix. Le développement de ces partenariats permet à la marque des consommateurs de décliner son initiative sur des produits plus élaborés, avec de multiples ingrédients. Ce champ est encore peu investi par la marque, à l'exception d'une pizza surgelée.

En porc, le cahier des charges auquel sera soumis le jambon vendu par Fleury Michon avait d'ailleurs été conçu pour la commercialisation de saucisses sous la marque des consommateurs. Lancées en 2019, les saucisses CQLP n'ont pas rencontré le succès escompté, sans compter la courte durée de conservation qui a entraîné des pertes. La marque et l'éleveur concerné ont dû se résoudre à stopper la production.

Au coup par coup

L'histoire de «C'est qui le patron ?!» s'écrit au coup par coup. Le développement de l'initiative, aiment à le répéter ses fondateurs, n'est guidé par «aucune stratégie». La marque met en avant le fait qu'elle ne poursuit aucun objectif économique, si ce n'est que tous les acteurs de la chaîne soient rémunérés au «juste prix» et, en premier lieu, les agriculteurs qui sont souvent les parents pauvres de l'industrie alimentaire.

Une philosophie qui amène CQLP à investir, peu à peu, de nouveaux champs. En janvier 2022, la marque a mis un pied dans la transformation en devenant copropriétaire et gestionnaire d'un abattoir et d'un laboratoire de découpe à Bourganeuf dans la Creuse. Les sociétaires ont souhaité venir en aide à un groupe d'éleveurs en difficulté financière. Pour l'heure, l'atelier de découpe est mis en production. Reste à finaliser les travaux de l'abattoir. «C'est un abattoir très éthique, sans angle droit et avec des fenêtres extérieures. C'est incroyable cette maison commune producteurs-consommateurs qu'on a imaginée», s'enthousiasme Nicolas Chabanne.

L'effet CQLP, vu par le reste de la filière laitière

De l'avis des acteurs de la filière, le succès de la marque des consommateurs a contribué à faire bouger les lignes sur le marché du lait. Mais selon les chapelles, chacun voit le verre à moitié plein, ou à moitié vide.

La brique de lait «C'est qui le patron?!» (CQLP) est désormais la plus vendue en France. Dès son arrivée sur les étals des supermarchés en 2016, la brique bleue flanquée d'un logo aux grands yeux a fait parler d'elle. Et notamment chez les producteurs laitiers. À la sortie de la crise du lait, la garantie d'un prix «juste» a de quoi séduire. «Pour la première fois, il y avait une prise en compte des coûts de production des éleveurs en toute transparence, se souvient le vice-président de la FNPL, Ghislain de Viron. On peut regretter que d'autres acteurs déjà présents n'aient pas eu l'idée avant.» De son point de vue, l'initiative a été «une petite révolution» qui a contribué à «moraliser le marché du lait».

«Une saine émulation»

«"C'est qui le patron?!" n'a pas le monopole de la rémunération du producteur», pose le directeur général de la Fnil (industriels privés), François-Xavier Huard. La fédération des industries laitières estime que la marque des consommateurs est «un très bon modèle», mais qu'il ne sera pas «prédominant» à l'avenir. Les produits équitables s'adressent à des consommateurs qui acceptent de mettre quelques centimes de plus pour mieux rémunérer les producteurs. «C'est un marché de niche», assure François-Xavier Huard. Les laits liquides dits «engagés» ont représenté près de 15 % des ventes en 2021, d'après les données de Syndilait.

Le succès de la marque des consommateurs a poussé les autres marques à se ré-interroger sur leurs stratégies et leurs pratiques. «Une saine émulation», note le DG de la Fnil. En quelques années, les rayons laits se sont transformés. Dans le sillage de C'est qui le patron?!, de multiples démarches promettant du lait équitable, local ou plus de pâturage, ont émergés. «Nicolas Chabanne a créé un mouvement qui a mis en évidence la nécessité de faire bouger les choses, souligne Damien Lacombe, président de la coopérative Sodiaal et de la Coopération laitière. Ça a permis de faire le pont entre les producteurs et les consommateurs».

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